COUR DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL
Chambre civile

 No :        500-02-091515-010
             # 31 000705 175 G et als. (R.L.)

DATE : Montréal, le 14 février 2001

EN PRÉSENCE DE : L'HONORABLE MICHEL DESMARAIS (JD1143)

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Locatrice/requérante
c.
ALl SAHAR ET ALS.
Locataires/intimés
et
ME JEAN BISSON, régisseur, Régie du logement Mis en cause

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ

I. LES FAITS

Au mois de juillet 2000 la Régie du logement a été saisie de soixante-dix-neuf demandes en réduction de loyer, dommages exemplaires et demande de réintégration de la part d'étudiants locataires de la requérante. Le régisseur a réuni les soixante-dix-neuf demandes et a permis une preuve commune, tout en rendant cependant une décision dans chacun des cas sur le fond, mais variant en ce qui a trait aux indemnités à être versées.

Trente-trois étudiants avaient quitté leur résidence avant le mois de septembre et n'ayant pas payé de loyer durant toute la période estivale, la diminution du loyer était ajustée au temps occupé.

Le régisseur a rendu sa décision le 7 décembre 2000. Le 5 janvier 2001 les procureurs de la requérante signifient au procureur des intimés une requête pour permission d'en appeler ; ladite requête était présentable le 11 janvier 2001. À la demande du procureur des intimés, la présentation a été reportée au 18 janvier.

À cette date, lors de l'audition, le procureur des intimés a présenté une requête verbale en irrecevabilité à l'encontre des soixante-dix-huit des soixante-dix-neuf jugements, alléguant absence de requête spécifique dans cesdits soixante-dix-huit cas. La requête présentée vise spécifiquement un résident du nom de Sahar Ali, mais contient la mention "et als.". De plus, en annexe de la requête en appel, figure les noms des soixante-dix-huit autres personnes impliquées dans le litige avec les numéros de causes correspondants.

II. REQUÊTE POUR PERMISSION D'EN APPELER

La requête pour permission d'en appeler contient de nombreux paragraphes visant expressément les intimés.

La Cour cite chacun des paragraphes concernés

     1. La requérante, l'Université de Montréal (ci-après
     l'"Université"), demande la permission de porter en appel les
     décisions datées du 7 décembre 2000 par la Régie du Logement
     condamnant la requérante à payer à chacun des intimés (dont la
     liste se trouve en annexe) la somme de 250,00 $ en dommages et
     500,00 $ en dommages punitifs, diminuant le loyer de chacun des
     intimés de 50% du 8 mai au 25 septembre 2000 et déclarant nulle
     et sans effet une modification apportée aux règlements de
     l'immeuble de la requérante. Copie d'une décision est communiquée
     comme pièce R-1 ;

     (...)

     5. Les intimés ont tous loué de la requérante un studio sis sur
     le Campus de l'Université de Montréal, pour la plupart situé dans
     la Tour Ouest, aux termes d'un bail...

     (...)

     10. Ainsi, tel qu'il appert de l'Annexe 2 de la pièce R-5,
     intitulée Réponse à l'avis de modification au bail, chacun des
     étudiants locataires, dont les intimés,...>

     (...)

     16. À compter du 1er mai 2000, les étudiants voulant prolonger
     leur séjour en résidence durant la saison estivale, dont les
     intimés, étaient relocalisés pour la grande majorité...

     (...)

     18. Le 7 juillet 2000, les intimés signifiaient à la requérante
     soixante-quatorze (74) demandes...

     (...)

     20. Tel qu'il appert de la déclaration R-7, les intimés
     demandaient à la Régie de statuer sur la légalité du
     déménagement...

     23. L'Université soutient que la décision de la Régie du logement
     est erronée pour les motifs suivants :

     (...)

     b) Subsidiairement, même en écartant les dispositions prévues par
     l'article 1926 C.c.Q. déclarant irrecevable le recours des
     intimés, celui-ci aurait dû de toute façon être écarté, puisque
     la preuve a clairement révélé que les studios offerts pendant la
     période estivale dans lesquels les locataires ont été déménagés
     étaient équivalents et localisés dans l'immeuble voisin et que la
     logistique nécessaire pour un tel déménagement était somme toute
     réduite à peu de choses.

     24. Si la permission d'appel est accordée, l'Université demandera
     à la Cour du Québec d'infirmer la décision rendue le 7 décembre
     2000 et de rejeter les soixante-dix-neuf (79) demandes des
     intimés ;

     (...)ACCORDER la permission de porter en appel les
     décisions de la Régie rendues le 7 décembre 2000 dans les
     dossiers listés en annexe aux présentes ;.

                                                 (Nos soulignements).

L'intention de l'Université de Montréal ne peut être remise en question. Son intention était bien de faire appel des soixante-dix-neuf décisions du régisseur.

III. LE DROIT

  1. ARGUMENTS DES REQUÉRANTS EN IRRECEVABILITÉ

Le procureur de la requérante en irrecevabilité base son argumentation sur divers points.

L'article 91 de la Loi sur la Régie du logement(1) prévoit que les décisions sont sujettes à appel sur permission d'un juge de la Cour du Québec.
L'article 92 prévoit les modalités de la présentation et précise que le jugement autorisant l'appel tient lieu d'inscription.

L'article 93 mentionne que le délai pour présenter la demande pour permission d'en appeler est "de rigueur et emporte déchéance". Selon le procureur de la requérante en irrecevabilité la requête pour permission d'appeler est donc introductive d'instance et un timbre judiciaire doit être payé pour l'ouverture du dossier.

Dans le présent litige seule une requête a été présentée et un seul timbre a été payé. Les soixante-dix-huit autres décisions ne sont donc pas sujettes à appel.

Il ne faut pas, selon le procureur, assimiler la présente situation à celle prévue aux articles 66 et 67 du C.p.c. où l'on prévoit la réunion d'actions en une seule demande et où plusieurs personnes ayant des recours dont le fondement juridique est le même peuvent se joindre en une même demande en justice. Sur ce dernier point la Cour partage entièrement l'opinion de l'avocat des requérants en irrecevabilité. Comme moyen accessoire, les requérants en irrecevabilité soutiennent qu'il est nécessaire de présenter plusieurs requêtes car 42% des décisions rendues diffèrent sur les dommages accordés et qu'un seul bref d'exécution ne saurait exécuter les soixante-dix-neuf décisions.

Là encore, le procureur a raison et l'exécution de chacune de ces décisions doit, s'il y a lieu, se faire individuellement.

Les requérants en irrecevabilité allèguent aussi des motifs d'équité :

     L'audition des demandes a pris 8 jours. Le procureur des intimés
     a fait entendre près de 70 témoins. Ces témoins sont des
     étudiants à temps plein de l'Université de Montréal et résident
     dans les tours d'habitation de l'Université de Montréal. Ces
     étudiants résidants ne résident à cet endroit que de septembre à
     mai, période à laquelle ils quittent soit parce qu'ils ont
     terminé leurs études, ou qu'ils retournent dans leur pays
     d'origine (étudiants étrangers).

Ces arguments ne peuvent être débattus à ce stade des procédures. Ils devront être présentés au moment où la requête pour permission d'appeler sera plaidée s'il y a lieu.

B- ARGUMENTATION DES INTIMÉS

Les deux parties admettent que la requête pour permission d'appeler a été présentée dans les délais. La Cour désire rappeler la teneur de l'article 2 du C.p.c. :>

     Les règles de procédure édictées par ce code sont destinées à
     faire apparaître le droit et en assurer la sanction ; et à moins
     d'une disposition contraire, l'inobservation de celles qui ne
     sont pas d'ordre public ne pourra affecter le sort d'une demande
     que s'il n'y a pas été remédié alors qu'il était possible de le
     faire. Ces dispositions doivent s'interpréter les unes par les
     autres et, autant que possible, de manière à faciliter la marche
     normale des procès, plutôt qu'à la retarder ou à y mettre fin
     prématurément

Denis Ferland et Benoît Émery, dans le Précis de procédure civile du Québec, écrivent(2) :

     La préséance du droit substantiel sur la procédure est aussi
     reconnue par la Cour suprême, qui n'hésite pas à affirmer que
     "rien n'est plus contraire aux principes du Code de procédure
     civile actuel, que la théorie de la nullité pour informalité",
     ajoutant même que "sauf devant une nullité décrétée par un texte
     législatif formel ne laissant aux tribunaux aucun pouvoir d'y
     remédier, la Cour suprême du Canada n'hésite pas à intervenir
     pour infirmer un arrêt qui rejette une demande au fond pour vice
     de forme". Selon la Cour suprême, "la pensée dominante qui a
     inspiré tout le nouveau code c'est le désir d'enterrer le vieil
     adage que "la forme emporte le fond", et "lorsque la décision sur
     une question de forme a pour conséquence qu'un justiciable est
     privé d'un droit important, elle cesse d'être vraiment une
     question de forme et devient une question de droit". Ainsi, comme
     les commissaires le suggéraient, le législateur a vraiment voulu
     que "la procédure reste la servante de la justice et n'en
     devienne jamais la maîtresse", et que "tout formalisme indu
     [soit] écarté", "la procédure judicieusement observée demeurant
     une garantie addition,, elle du respect des droits des
     justiciables ".

Les décisions sont semblables quant au fond et diffèrent uniquement sur les dommages accordés. Les motifs d'appel dans toutes les décisions sont les mêmes.

Le procureur de l'Université de Montréal suggère à la Cour de recourir à l'article 93 de la Loi sur la Régie du logement pour régler le problème. Or, l'article auquel il est référé a été amendé en 1996. Il donnait alors au tribunal la possibilité d'autoriser un appel après l'expiration du délai si l'autre partie n'en subissait aucun préjudice grave.

L'article modifié établit maintenant que "le délai est de rigueur et de déchéance", enlevant à la Cour toute possibilité d'accorder la permission d'appeler.

La Cour tient à clarifier un dernier point. Les parties diffèrent d'opinion sur la nature de la requête pour permission d'appeler. La partie requérante en irrecevabilité prétend que la demande est introductive d'instance et la partie intimée soutient le contraire. Il a été décidé(3) que :

     L'inscription en appel n'est pas introductive d'instance.

Cette notion n'a cependant pas d'importance dans le présent litige.

L'article 92 prescrit en effet :

     La demande pour permission d'en appeler être faite au greffe de
     la Cour du Québec du lieu où est situé le logement et elle est
     présentée par requête accompagnée d'une copie de la décision...

                                                 (Nos soulignements).

Ces dispositions sont impératives et le législateur confirme ainsi cette notion d'obligation que l'on retrouve à l'article 93.

POUR CES MOTIF S, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête en irrecevabilité, avec dépens.

Michel Desmarais, J.C.Q.

FRASER MILNER CASGRAIN
Me Stéphane Dansereau
Procureurs de la locatrice-requérante

Me Marc Lavigne
Procureur des locataires-intimés


1. L.R.Q., c. R-8.1

2. Les Éditions Wilson et Lafleur Inc., volume 1, livre 1, 3e édition.

3. L'Heureux c. Potvin, J.E. 86-588 et Majewski c. Filiatrault, J.E. 89-220